Ils ne mouraient pas tous

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (Marie Pezé).

Journal de la consultation « Souffrance et travail » 1997-2008.

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Ces mots, tirés de la fable de Jean de La Fontaine « Les animaux malades de la peste « , Marie Pezé psychologue clinicienne et psychanalyste les a choisis comme titre à son ouvrage consacré à la souffrance au travail.

Elle connaît bien le sujet pour avoir créé la première consultation « souffrance et travail » en 1997, à l’hôpital de Nanterre et y avoir conduit des entretiens pendant plus d’une décennie.

Des échanges avec ses patients orientés par la médecine du travail, elle a pu constater,  analyser l’augmentation et la diversité des maux liés à l’activité professionnelle.

A travers leurs témoignages, elle dresse un tableau effrayant, car réel, du monde du travail. Ce travail qui use, abîme, casse, fragilise, humilie et tue parfois.

Les troubles liés au travail augmentent.

« Agathe, aide-soignante, qui se ronge pour la sécurité de ses malades au point de sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup’, qui a besoin de se doper au travail pour se « sentir vivant  » ; François, juriste d’entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu’il n’y arrive plus … ».

Voilà présentés quelques uns des héros malgré eux de cette chronique de plus de dix années de consultations.

Les souffrances physiques, les plus visibles, sont plus facilement admises, combattues. Les dégâts psychologiques eux, sont souvent niés, tus par l’entreprise ou le salarié lui-même.

« Je suis harcelé ! – Prouvez le. Stressé ? Tout le monde l’est  » vous répondra-t-on. Insuffisance tragique de la plainte. Et puis la plainte au travail est signe de fragilité personnelle. C’est là que se situe la faille.

Face à ces maux, les stratégies de défense déployées par les salariés sont multiples.

Certains se dépassent, se surpassent pour répondre aux exigences du métier, pour (se) prouver leur valeur, leur capacité de résistance ; parfois jusqu’à la rupture, le sévère rappel à l’ordre du corps poussé au-delà de ses limites.

Les TMS (troubles musculo squelettiques), les dépressions, les cas de burn-out, de névroses, de crises d’angoisse et de morts subites au travail  se développent.

D’autres maltraitent, humilient à leur tour.

D’autres encore vont jusqu’au suicide.

« Je voulais qu’ils mesurent ce qu’ils étaient en train de me faire. Que ça serve d’exemple, qu’on ne le fasse plus à personne. »

Dans cette vidéo extraite d’un séminaire pour la Fondation Copernic, Marie Pezé présente une partie de son analyse.

Séminaire « Travailler, pourquoi, pour qui, pour quoi ? » – Marie Pezé from Fondation Copernic on Vimeo.

Les nouvelles organisations du travail mises en cause.

Parfois, le comportement personnel du responsable est à mettre en cause, comme en témoigne le récit de ce directeur, au désir obsessionnel de tout maîtriser, exigeant entre autres de sa secrétaire qu’elle colle les timbres « à quatre millimètres du bord de l’enveloppe, en s’aidant d’une règle ». Les insultes, les humiliations, et autres agressions allant parfois jusqu’au viol sont aussi présents.

Plus généralement, au-delà du comportement individuel du supérieur hiérarchique ou des collègues, c’est la structure organisationnelle même des entreprises, génératrice de stress et de souffrances, qu’il faut remettre en cause.

Dans le premier chapitre intitulé « la fabrique des harceleurs » Marie Pezé relate une situation particulière puisqu’elle reçoit tour à tour une salariée harcelée, puis le cadre « harceleur ». On y découvre un harceleur lui même victime d’une organisation du travail qui le conduit à adopter par stratégie de protection, une posture violente vis-à-vis de ses subalternes. Posture qui finira par lui coûter moralement, psychologiquement et physiquement.

« Dans l’entreprise, ils considèrent le stress comme un stimulant. Ils est donc conseillé à chaque cadre de le convoquer afin d’obtenir les meilleurs résultats. »

Presque à chaque fois on trouve à l’origine de la souffrance, une organisation provoquant la perte de sens du métier et le non respect de ses valeurs ; puis la négation des compétences, donc des individus, auquel s’ajoute de plus en plus souvent la recherche effrénée de la productivité.

Les cadences sont de plus en plus élevées et les tâches désormais standardisées, normées, s’exécutent au mépris du corps et des esprits.

Des solutions existent.

Les témoignages sont édifiants, le constat sévère. Marie Pezé elle même n’en sortira pas indemne puisque privilégiant le sort de ses patients, dans des conditions de plus en plus contraintes, elle fut également frappée à son tour, touchée par des troubles neurologiques qui entravèrent sa capacité d’action. Elle fut par la suite licenciée.

La prévention des risques psychosociaux, elle en a fait son cheval de bataille et a créé le site Souffrance et travail .

Ce site est une mine d’informations pour tous ceux intéressés par le sujet qui souhaiteraient contribuer à cette lutte.

La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la présentation des outils méthodologiques utiles pour la lutte contre ce fléau :

  • Une liste des pratiques organisationnelles et des modes de management potentiellement pathogènes,
  • Une méthodologie d’entretien avec le harcelé présumé,
  • Un tableau clinique spécifique,
  • Une liste d’indicateurs objectifs de souffrance au travail,
  • Un rappel des acteurs de prise en charge.

« Témoigner de l’impact de l’organisation du travail sur la santé des salariés était donc une exigence. Je vous ai emmenés dans ma consultation pour que vous ne puissiez plus dire – Je ne savais pas -. Je vous ai livré ma subjectivité pour que vous acceptiez de convoquer la vôtre, que vous soyez patient, salarié, responsable des ressources humaines ou manager.  »
Les ressources humaines sont en danger. »


Avis

À lire absolument !

À la fois récit émouvant, analyse précise, cri d’alarme, cet ouvrage est essentiel pour qui veut comprendre et lutter contre les troubles liés au travail.

Nous avons pu voir la question de la souffrance au travail traitée par un spécialiste du management, Robert Sutton dans « Objectif Zero sale con » ou encore un coach en entreprise, Martin Wehrle, dans « Je travaille dans une maison de fous – l’entreprise asile ». Ici l’analyse faite par une psychanalyste approfondit les conséquences sur l’humain, sans omettre d’en déterminer les causes et proposer des outils de détection et d’amélioration.

2 commentaires

  1. Témoignage bouleversant devant attirer toute la vigilance des DRH au sein de leur entreprise, chacun d’entre nous se doit d’être à l’écoute de tout grain de sable pour limiter ce genre de dérive dans le temps.. Anticiper, mieux cerner le savoir être de chacun des candidats pour que nous soyons des sentinelles attentives et bienveillantes au service d’un bien être au travail et d’une harmonie qui chante. Une entreprise heureuse où il fait bon travailler passe par un DRH gestionnaire des carrières, vigilant sur le juste dosage de la Performance salariale au service d’une bienveillance renouvelée au service du Collectif; Un salarié bienheureux en dehors est forcément un salarié bien heureux en interne. Vigilance lorsque vous recrutez, savoir qui l’on a devant soi reste du domaine du possible.

    • Il y a dans la plupart des entreprises une prise de conscience de l’importance du bien-être au travail… du moins dans le discours. Malheureusement, les bonnes intentions affichées laissent rapidement place aux indicateurs, aux résultats, à la performance.
      L’humain passe après.

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Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (Marie Pezé).

par Verbiage Temps de lecture : 4 min