Journal d un medecin du travail

Journal d’un médecin du travail (Dorothée Ramaut).

La souffrance au travail.

« Jusque-là, je m’imaginais que seuls les salariés de terrain pouvaient être victimes de mauvaises conditions relationnelles, je pensais que les chefs étaient « forts », qu’ils pouvaient s’exprimer, qu’ils pouvaient se défendre. »

Ces mots sont ceux du docteur Dorothée Ramaut, médecin du travail qui a exercé près de 20 ans dans un hypermarché français (plus de 480 salariés). Au fur et à mesure de son activité elle observe, de son poste privilégié, l’augmentation des cas de mal-être et de souffrance au travail.

La souffrance qu’elle pensait inhérente à toute activité, elle la découvre bien plus répandue qu’elle ne l’imaginait. Elle découvre la violence organisée par l’entreprise elle-même, érigée en mode de management ; elle découvre surtout que les cadres en sont également victimes.

Partant d’un a priori, celui du manager de proximité, être imbu de sa personne, hautain, brutal (« un sale con » comme dirait Robert Sutton), elle n’avait jusqu’alors pas perçu la pression exercée sur eux, pas idée de leur fragilité réelle.

Jusqu’au jour, en juin 2000, où elle reçoit Daniel un chef de rayon, arrêté pour une dépression sévère. L’évocation des souffrances, l’état physique et surtout psychologique de ce dernier, ouvriront les yeux de Dorothée Ramaut. Ce cas sera le début de son récit et d’une prise de conscience de la brutalité des modes de management de son entreprise, de son combat pour tenter de faire évoluer les choses.

C’est ce récit de six années de consultations (de juin 2000 à mars 2006), le regard désormais ouvert sur la réalité de l’entreprise qu’elle nous livre.

Les managers de proximité ne sont plus la cause unique de la souffrance comme elle l’imaginait, mais sont à la fois bourreaux et victimes, puissants et impuissants, entre le marteau et l’enclume.

Il leur est demandé de donner, toujours plus pour le bien de l’entreprise :

  • “- Donner beaucoup de temps, non rémunéré pour partie (…)”
  • “- Donner beaucoup d’énergie, faire soi même le travail d’un ou plusieurs équipiers absents (…)”
  • “- Donner sa vie à l’entreprise (…)”
  • “ – Donner du tonus à son équipe (…)”

Donner, aller au delà de ses forces, de sa propre éthique, pour l’entreprise et une hypothétique promotion, parfois jusqu’à la désillusion.

« Les salariés qui font l’objet de maltraitance sont en majorité des gens qui se sont énormément investis dans leur travail et qui ne comprennent pas pourquoi, du jour au lendemain ils sont devenus l’homme ou la femme à abattre ».

Les modes de management évoluent vers moins d’humain, moins de collectif. Les objectifs assignés à chacun, individualisés font en sorte que la collaboration et la solidarité nécessaires pour faire face à ce type de management sont découragées.

Ce récit est également la description de méthodes de harcèlement érigées en mode de management, la description des silences et de l’impuissance des instances chargées de protéger les salariés.

« J’ai cru que l’un des deux syndicats représentatifs allaient se mobiliser. Les délégués sont venus à plusieurs reprises me voir, finalement ils ne feront rien… car ce sont des chefs qui sont concernés. »

Et pour ceux qui auraient l’outrecuidance de se révolter de « l’ouvrir » ils seront vite isolés du groupe, lâchés par ceux qui appuyaient pourtant leurs revendications, ils serviront d’exemple.

Le médecin du travail subira même des menaces afin que sa mise en cause des méthodes de management de l’entreprise ne soit pas prise en compte.

Au delà de la simple description des conséquences physiques et psychologiques du harcèlement moral, Dorothée Ramaut, décrit l’inaction des uns (la Direction Générale et la Direction des Ressources Humaines), l’impuissance des autres (les instances représentatives du personnel et l’Inspection du Travail)  et va jusqu’à s’interroger son choix personnel de se consacrer à la médecine du travail.

Pourtant elle n’abandonne pas le combat et fut l’une des premières à tirer la sonnette d’alarme. Elle parvient à mettre en place au sein de l’entreprise des réunions régulières sur le harcèlement moral, réussit à délier les langues et faire progresser les employés et les managers en la matière.

Placer l’humain au coeur des rapports professionnels, et ce à tous les échelons, est le principal moyen de prévention des risques psychosociaux.

« Le travail n’est jamais neutre sur le sujet : il peut le construire, comme il peut le détruire. Rappelons nous toujours que travailler n’est pas seulement produire ensemble, mais aussi vivre ensemble. »


Avis

Le témoignage est édifiant, les méthodes de harcèlement vont ont delà de ce que la plupart peuvent imaginer. Nous voudrions croire que ce mode de fonctionnement est propre à cette entreprise ou encore à ce secteur d’activité, mais les exemples sont nombreux et l’actualité ne cesse de nous rappeler la réalité de certaines entreprises et de formes de management parfois brutales.

Ici encore comme nous avions pu le voir dans « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés de Marie Pezé » plus que la psychologie des managers de proximité c’est l’organisation même du travail qui est à remettre en cause dans la multiplication des cas de harcèlement moral. 


2 commentaires

    • Je vous remercie pour ce commentaire. Cette liste est un véritable outil pour ceux qui souhaitent améliorer la qualité de vie au travail et un appel à lire « Encadrer une équipe : La conduite des hommes dans une période de mutation ».

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Journal d’un médecin du travail (Dorothée Ramaut).

par Verbiage Temps de lecture : 4 min