La souffrance au travail devrait être une cause nationale » (Entretien avec Aude Selly).

aude sellyEntretien avec Aude SELLY consultante RH Protection de la santé au travail et auteur du livre « Quand le travail vous tue : histoire d’un burn-out et de sa guérison ». Avec le succès de son témoignage, Aude Selly poursuit, sous d’autres formes, son combat pour la prévention de l’épuisement professionnel. Elle a accepté de nous livrer sa vision du sujet et de répondre à nos questions.

(Entretien réalisé par mail en Décembre 2013.)

Vous évoquez dans votre livre la guérison après le burn-out, mais peut on dire que l’on se relève totalement d’une telle épreuve ?

Quand le travail vous tue burn outAude SELLY : On peut en grande partie s’en relever, à la condition d’avoir fait un travail sur soi, en comprenant pourquoi on a sombré et comment ne plus refaire les mêmes erreurs. Il faut beaucoup de temps. Selon la gravité du burn-out, le médecin conseil de la sécurité sociale que j’ai rencontré m’a précisé qu’il fallait au minimum 9 mois à 2 ans.

Se relever implique d’être capable d’identifier les facteurs qui nous ont fait basculer vers le burn-out. C’est aussi une question d’individu, de personnalité. Après 1 an et demi d’arrêt, je me suis reconstruite, plus forte, mais je n’y suis pas arrivée seule.

Les personnes qui sont victimes ou sentent qu’elles sont au bord de la rupture doivent comprendre qu’il est impossible de s’en sortir seul. Il faut chercher de l’aide et en particulier celle d’un professionnel de santé. J’ai d’abord été accompagnée par mon médecin traitant et une psychologue du travail. Cela a duré environ 7 mois.

Après et jusqu’à maintenant, je suis suivie par une psychiatre. En tous les cas, comme je le dis dans mon livre témoignage, le burn-out est une épreuve qu’on ne pourra jamais oublier. Et heureusement, cela permet d’agir radicalement différemment.

Certains lecteurs me disent avoir rechuté. Pour moi cela signifie qu’ils sont retournés trop tôt dans leur activité professionnelle.

Se relever d’un burn-out impose de CHANGER quelque chose.

Pensez vous que l’on puisse être suffisamment lucide pour avoir, seul, conscience des signes avant-coureurs de son épuisement professionnel ?

Aude SELLY : Pour être honnête, j’ai bien peur que non, sauf si l’on SAIT que tel signe indique que la machine (notre corps) commence à s’enrayer progressivement. Mais pour repérer, il faut prendre du recul. La majorité des personnes ayant vécu un burn-out professionnel n’ont pas vu les choses venir.

Si je prends mon exemple, tous les signes que j’ai cumulés et que je décris dans mon témoignage, je les imputais à MA défaillance. Je n’imaginais pas une seconde que cela était lié à mon travail. J’aurai aimé qu’on me prévienne. J’aurais aimé qu’on me soutienne, que mes responsables réagissent.

Ceux et celles qui sont victimes de l’épuisement sont dans la majeure partie, très impliqués, de bonne volonté, passionnés,…ils contribuent tellement aux résultats de l’entreprise qu’en général on leur confie de plus en plus de choses, et ils ne savent pas dire non. Ils sont du pain béni pour l’entreprise !

Pourquoi ils n’arrivent pas à dire non ? Pour de nombreuses raisons. Parce qu’ils le traduisent comme une preuve de confiance, une forme de reconnaissance de la quantité du travail fournie qualitativement. Parce qu’ils sont « corporate » Ils pensent que cela contribuera à obtenir une très bonne note lors de leur entretien annuel avec l’augmentation qui est liée aux résultats. Ils espèrent qu’on les voient, ainsi, ils seraient positionnés comme un profil évolutif en interne. Les effectifs se réduisent et la charge de travail est répartie, il y a la peur de perdre son travail, la peur du chômage, la peur de la perte de son pouvoir d’achat.

Sur le long terme, ces personnes s’épuisent, alors elles peinent à tenir les délais et  accumulent donc les heures pour finir leurs tâches. Il y a un vrai DENI de la part des victimes d’un burn-out, encore une fois parce qu’elles pensent être la source du problème, ne pas être assez performantes. Elles continuent malgré les signes qui se sont déjà enclenchés (perte de sommeil, maux de tête, maux de dos, palpitations, digestion difficile, consommation élevée de tabac voire de cannabis, d’alcool, parmi d’autres…) et ne savent même pas qu’elles foncent droit dans le mur !

 

Quel rôle peut ou doit avoir l’entourage ?

Aude SELLY : Avant de parler de l’entourage, je veux insister sur un constat: les responsables hiérarchiques font, sans aucun doute pour moi, partie de « l’entourage ». Ils ont un rôle fondamental. Ils doivent identifier les personnes de leur équipe qui en font trop. Ils doivent observer et s’assurer d’apporter le soutien et l’écoute nécessaires sans faire culpabiliser le salarié. Lui? il a juste envie de bien faire son travail.

Une étude récente a révélé qu’introduire une personne saine dans un environnement stressant avait un impact négatif sur le plan physique et psychologique. CQFD. Le manager doit aider et trouver une solution pour soulager les difficultés rencontrées par le salarié.

L’entourage ne doit jamais cesser de dire que la personne en fait trop. Il doit essayer de la convaincre de faire attention en la poussant très progressivement à maintenir un équilibre, à souffler. Il devrait même ne pas hésiter à être stratégique. Prétexter un dîner, une sortie, une activité qui pourrait obliger le salarié à s’extraire de son environnement de travail.

Mais malheureusement, les NTIC ont aussi changé la donne. De plus en plus présentes dans la vie privée, elles ne permettent pas de déconnecter de son boulot. Alors il faut aussi convaincre d’éteindre une fois rentré.

C’est loin d’être facile pour l’entourage. Je le dis dans mon témoignage « vous ne comprenez pas, vous ne savez pas tout ce que j’ai à faire, … » Voilà le type de réponse auquel l’entourage est confronté. L’entourage n’est pas dans le quotidien de la vie au travail de la potentielle victime. Alors difficile de l’écouter. C’est pourquoi j’insiste sur le fait que la hiérarchie a un rôle fondamental.

Vous avez particulièrement bien décrit la complexité du rôle des managers. Quels conseils leur donneriez vous pour se préserver et préserver leurs équipes ?

Aude SELLY : Votre question me fait sourire. La formation que je propose pour les entreprises à destination des managers de proximité s’intitule : Risques Psychosociaux, se protéger et protéger les autres au travail ».

Je veux vraiment que les managers comprennent que je suis de leur côté, j’ai tenu ce poste, et j’ai travaillé en soutien de cette population en tant que RRH opérationnel. C’est une fonction qui n’est pas assez valorisée. Oui, les managers parlent d’une mission enrichissante, valorisante, mais elle est aussi multi-tâches, soumise à la pression des résultats -faire plus avec moins- , avec la peur de ne pas être à la hauteur, il y aussi ceux qui ont été nommés trop tôt, voire qui ne sont pas fait pour. Tout ceci crée de la souffrance pour eux et des dommages chez leurs collaborateurs.

Mes conseils ?

1/ Garder coûte que coûte, envers et contre tout une activité extra-professionnelle qui permet de respirer, de souffler, de se détendre, de s’occuper de soi. Minimum une fois par semaine. Pourquoi minimum une fois? Parce que , pour moi, c’est comme lorsqu’on se dit « vivement le week end que je … », ce doit être la même idée. Ce peut-être, pour un parent, rentrer plus tôt que d’habitude pour profiter de son (ses) enfant(s), aller au cinéma, courir, dormir plus tôt, aller boire un verre avec un(e) ami(e), bref chacun sait ce dont il a besoin … sinon il faut chercher.

2/ Savoir dire non et poser des limites. Il ne faut pas avoir peur de s’exprimer. Ce n’est en rien une éventuelle preuve de faiblesse par rapport aux autres, ou une incapacité à bien s’organiser. Au contraire! Faire cela, c’est savoir évaluer et gérer ses priorités, c’est faire preuve d’un très bon jugement et discernement.J’ai presque envie de dire, c’est faire preuve de courage. C’est extrêmement difficile dans le contexte économique actuel mais vous n’avez pas le choix. Je l’ai écrit « Vous pensez que vous perdrez juste votre poste? Continuez et vous perdrez plus. » Ce n’est qu’ainsi que VOUS reprendrez le contrôle de vos tâches, assurerez une qualité de travail pérenne et éviterez un burn-out. Poser des limites peut-être également de prendre une VRAIE pause déjeuner, et pas un sandwich.

3/ Savoir déléguer. Nous ne sommes pas des surhommes, alors acceptons l’aide quand elle nous tend les bras. Si vous n’avez personne, le point N° 2 est d’autant plus fondamental. Attention, la délégation n’exclut pas le contrôle (à adapter selon le niveau d’autonomie du collaborateur) mais évitez la délégation de tâches poubelles, c’est le meilleur moyen pour provoquer un désengagement de votre collaborateur.

4/ Ne surtout pas rester seul(e) en cas de difficulté. On en revient à l’entourage, en parler à son hiérarchique, parler avec ses collègues (parfois s’épancher permet vraiment de se soulager et quelques fois se rendre compte que d’autres sont dans le même cas), sa famille, ses amis, au médecin du travail, à son médecin traitant, à un professionnel de santé (je recommande les psychiatres dans un premier temps avant le psychologue).

Le livre a rencontré un grand succès, preuve que la question intéresse. Avez vous été surprise ? Et comment poursuivez vous le combat aujourd’hui ?

Aude SELLY : Je ne sais pas s’il a vraiment un grand succès. Ce qui est sûr, c’est qu’il a bénéficié d’une couverture médiatique inimaginable pour moi. Surtout vu le contexte dans lequel je l’ai écrit. Je décris cela dans l’épilogue d’ailleurs. Je l’ai écrit en 6 jours, dans un tel état de souffrance. Je doutais, je refaisais le film, je me disais que j’avais tout inventé…l’écriture et moi rimons avec authenticité et vérité. J’ai décidé de tout rassembler. Le Dr Brigitte Font le Bret, psychiatre et spécialiste de la question de la souffrance au travail depuis plus de 30 ans a très bien retranscrit mon état dans la préface. Je l’ai « vomi ». C’est exactement ce que je dis lorsqu’on me pose la question. Trouver un éditeur et être publiée a été une surprise incroyable. Je remercie d’ailleurs l’équipe des Editions Maxima d’avoir été sensible à mon manuscrit. C’est aussi grâce à eux que ma lutte a commencé.

Maintenant que je suis sortie de cet enfer, je ne souhaite qu’une chose : aider les autres à se rendre compte qu’ils foncent droit vers le mur s’ils ne changent rien, alerter les dirigeants sur les conséquences de la montée de la souffrance au travail. Ce livre est le témoignage d’un burn-out vécu de l’intérieur. Beaucoup de lecteurs me disent « j’ai vécu la même chose et je n’arrive pas à m’en remettre » ou « c’est ce que je suis en train de vivre » ou « j’ai parlé à mon responsable, à mon DRH et personne ne m’écoute ».

Je ne suis pas la seule à avoir fait un burn-out, je ne suis pas la première et pas la dernière. Ce n’est pas un livre qui analyse théoriquement le syndrome d’épuisement professionnel. C’est la réalité d’un burn-out tel qu’il m’a poussée à faire une tentative de suicide. Ce sont les douleurs physiques, les émotions vécues (la colère, l’incompréhension des décisions des responsables hiérarchiques, la désillusion, l’impact de la non reconnaissance, la charge de travail…). Si les gens me lisent, ils pourront se reconnaître ou reconnaître une personne de leur entourage. Ils sauront qu’ils doivent réagir. Comme je l’ai écrit, « je ne peux pas connaître ce qu’est le burn-out professionnel et laisser les gens foncer dans le mur. » Pour moi, la souffrance au travail devrait être une cause nationale. Si ce livre participe au fait de rendre le sujet public, et d’éviter à des personnes de sombrer alors tant mieux et je ne regrette rien. Je suis heureuse d’être en vie, de témoigner et dire que l’on peut s’en sortir.

Mon combat ? Faire de la prévention !

Je l’ai écrit, « Je suis libre de le faire, alors je choisis de me faire entendre ». J’aimerais que ce livre soit lu par le plus grand nombre, salariés, managers, politiques…faire réaliser que ce n’est pas un phénomène de mode. Les suicides relayés par les médias a permis un sursaut de la classe politique, une réaction de la population française mais ils ne sont que la partie visible de l’iceberg ! Un iceberg a une base bien plus grande par rapport au sommet…C’est la même chose. Il y a énormément de victimes que l’on ne voit pas, que l’on entend pas.

Je reçois des courriers, des mails de personnes qui souffrent, victimes de harcèlement, épuisées ; de l’employé au bas de l’organigramme, au dirigeant d’entreprise, en passant par les infirmières et les médecins. Tout le monde est concerné. On cherche à établir des statistiques en matière de souffrance au travail. Je considère que ce n’est pas le plus important, loin de là. Les chiffres sont sous-estimés. Ce qui m’importe c’est l’action par la prévention primaire (agir en amont) non par la prévention tertiaire (agir lorsque le risque est avéré).

Aujourd’hui, je suis consultante RH Protection de la santé au travail. J’interviens dans les écoles post-bac afin de sensibiliser les étudiants sur ce sujet, en partageant mon vécu. Ce sont les futurs collaborateurs, les futurs dirigeants, les futurs DRH. Il est essentiel pour moi qu’ils aient intégré l’enjeu, les conséquences de la souffrance au travail avant d’intégrer le marché du travail. D’abord pour eux, et ensuite pour les autres.

J’interviens également dans les entreprises pour former les managers, leur faire comprendre qu’il est essentiel de se préserver pour mieux observer, identifier, réagir.  En tant que cadre de proximité, ils représentent l’employeur, ils sont en 1ère ligne et ont la responsabilité de respecter et faire respecter la loi (article 4121-1 du code du travail).

J’ai créé une page Facebook [icon name= »icon-facebook-sign »]« Souffrance au Travail/Gestion du stress «  , ceux et celles qui se sentent concernés, ou sont tout simplement sensibles peuvent la liker et aider à la faire grandir !

[icon name= »icon-quote-left »]Voilà comment je rejoins ceux qui ont commencé à lutter pour cette cause depuis des années.[icon name= »icon-quote-right »]


Nous remercions Aude Selly et vous invitons à lire ici notre présentation de « Quand le travail vous tue : histoire d’un burn-out et de sa guérison ».


3 commentaires

  1. Bonjour,
    Dans le cadre de mon mémoire portant sur la conduite du changement et l’épuisement professionnel, je réalise une enquête afin de recueillir votre témoignage sur la manière dont vous avez vécu le changement au sein de votre entreprise.
    A noter que ce questionnaire est anonyme et que votre témoignage est important. J’aimerais montrer que l’épuisement professionnel est quelque chose qu’il faut prendre au sérieux et que c’est du rôle de la direction des ressources humaines et du supérieur hiérarchique de faire attention à la santé mental et physique de ses salariés. J’aimerais montrer grâce à ce questionnaire l’importance du phénomène d’épuisement professionnel mais aussi montrer que le facteur humain dans une conduite du changement est pour la plupart du temps négligé dans sa totalité.
    LIEN :
    https://docs.google.com/forms/d/1m_jg4sDKlVYNzcvFwiQIAMHA6vd7HyQv_g0FaSxVY0c/viewform

    Je vous remercie d’avance d’avoir accepté et consacré quelques minutes pour répondre à cette étude de la manière la plus sincère possible. Je me tiens à votre entière disposition, pour toute information supplémentaire.

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« La souffrance au travail devrait être une cause nationale » (Entretien avec Aude Selly).

par Verbiage Temps de lecture : 10 min